Elle enseigne depuis cinq ans et bâti tout son projet annuel à partir des feuilletons mythologiques de Murielle Szac. Elle vient de partager sur son blog, Les cahiers de Cracoline, les 100 fiches qu’elle a bâties pour exploiter en médiation culturelle Le feuilleton d’Artémis. Rencontre avec une passionnée.
Vous êtes connue dans la blogosphère sous le nom de Cracoline. Mais qui est Cracoline ?
J’ai créé le personnage de Cracoline pendant mon master de littérature de jeunesse, avec mon oncle. C’est lui qui a réalisé tous les dessins de Cracoline. Mon premier blog était autour de Peter Pan, œuvre sur laquelle j’ai travaillée pendant presque 2 ans et de laquelle je suis complètement éprise. Ça m’a d’ailleurs fait sourire d’entendre Murielle Szac dans une interview, confier que c’était son livre de chevet plus jeune ! C’est sans doute qu’il y a une forte connivence avec la mythologie !
Cracoline était alors le personnage incarnant la lectrice qui était en moi. Dans ce blog je tentais d’analyser, de rendre compte des différents versants de l’œuvre.
J’ai repris ce personnage lorsque j’ai créé mon blog cette fois en tant qu’enseignante (mais aussi lectrice !). Je souhaitais partager mon travail, ma manière de concevoir mon métier, mes questionnements et réflexions sur l’enseignement, etc.
J’ai toujours voulu enseigner et suis devenue instit en 2015. J’ai très rapidement obtenu un poste fixe en REP+. J’avais au début beaucoup d’appréhensions car j’étais jeune et je débutais dans le métier. Finalement j’y ai vite trouvé ma place. Cela fait maintenant quatre ans que je me suis stabilisée dans cette école en Cm1/Cm2, ce qui me permet d’appréhender chaque année de manière plus ténue les spécificités de ce niveau et d’y répondre, je l’espère, de mieux en mieux. D’autant que depuis cette année, avec ma collègue de Ce2/Cm1, nous avons ouvert nos classes et travaillons en véritable binôme, chacune avec nos points forts. Je travaille ainsi avec les trois niveaux en français quand elle s’occupe des mathématiques (entre autres) ce qui nous permet, là encore, d’approfondir nos connaissances de ces disciplines et de leur didactique.
Comment avez-vous découvert les feuilletons de la mythologie ?
C’est une amie enseignante qui m’en a parlé. Elle avait travaillé Le feuilleton d’Hermès avec ses élèves de Ce2 et voulait reconduire l’expérience. Je l’ai lu ou plutôt dévoré et j’ai acheté la mallette pédagogique proposée par Bayard. On a alors refait une année d’Hermès ensemble, à distance car nous n’étions pas dans la même école, en suivant chacune les fiches inclues dans la mallette et en faisant de la mythologie un véritable projet annuel.
Deux ans après, j’ai voulu reprendre ce travail sur la mythologie que j’avais délaissé au profit d’une année Harry Potter, année que j’ai trouvée moins porteuse, et Artémis sortait. Cette fois c’est ma binôme de Ce2/Cm1 qui m’en a parlé car elle trouvait intéressante l’idée qu’un personnage féminin soit mis en avant. On l’a chacune lu de notre côté et nous avons été encore une fois conquises tant par l’écriture que par le personnage très attachant d’Artémis.
J’ai une affection particulière pour ce dernier feuilleton. Dans Hermès, on a une vue d’ensemble assez large sur la mythologie, on découvre tous les dieux de l’Olympe, c’est une très belle entrée en matière quand on est novice et on assiste à différentes histoires en suivant Hermès, personnage que les élèves affectionnent particulièrement. Avec Artémis j’ai trouvé qu’on prenait davantage notre temps pour la voir grandir et cheminer dans ses réflexions sur elle-même et sur le monde. Et nous avons eu des échanges très forts avec les élèves autour de cette Artémis qui est si entreprenante dans ses choix. Beaucoup d’élèves l’admiraient ! Moi aussi je dois dire. J’ai hâte de faire découvrir les feuilletons à mes enfants !
Qu’est-ce qui vous a donné envie de créer des supports autour du feuilleton d’Artémis ?
Je l’ai fait autant pour moi que pour mes élèves ! Je suis une fan absolue des feuilletons et je trouve très stimulant de réfléchir à la manière de les mettre en œuvre dans la classe. De plus, l’ouvrage était sorti au printemps et il y avait peu de ressources à ce moment sur les blogs. D’autre part, mes élèves (et moi aussi !) avions tellement adhéré à la démarche de médiation culturelle proposée dans la mallette autour d’Hermès que j’ai voulu créer le même type de fiches autour du feuilleton d’Artémis.
Les élèves sont à chaque fois rentrés dans la mythologie. J’avais un peu peur pour le feuilleton d’Artémis que les garçons adhèrent moins ou que les élèves en difficulté se perdent car ce feuilleton est plus complexe, mais pas du tout… Bien au contraire ! Ils avaient toujours hâte de découvrir la suite, étaient déçus quand pour une raison ou une autre ils manquaient la lecture d’un épisode.
La frustration a été très grande cette année car avec la fermeture des écoles nous n’avons pas pu clore notre projet comme il se devait. Nous avions monté une comédie musicale. Les élèves avaient étudié des comédies musicales puis récrit les paroles de chanson cultes pour raconter l’histoire d’Artémis, écrit des scènes de théâtre, appris les chansons qu’ils avaient écrites et les chorégraphies qui allaient avec, réfléchi aux décors, commencé à les réaliser… un travail titanesque et passionnant qui avait vraiment embarqué tous les élèves et qui s’est brutalement arrêté…
Comment travaillez-vous pour réaliser les fiches ?
Je dirais que je poursuis trois objectifs principaux : donner le goût de la littérature aux élèves, leur apporter un bagage culturel qui fait souvent défaut dans l’éducation prioritaire, et les aider à exercer leur réflexion.
Du coup, j’essaie de reprendre la démarche de médiation culturelle que propose Serge Boimare. Je lis d’abord le feuilleton épisode par épisode en prenant des notes sur un cahier. Je relève les thèmes abordés, la ou les question(s) philosophique(s) que pose selon moi l’épisode, des questions de reformulations pour m’assurer de la compréhension de tous, une question de débat qui rejoint la question philosophique de départ ou qui invite les élèves à discuter des agissements des personnages. Il peut aussi s’agir d’une question de débat interprétatif. Des prolongements dans d’autres disciplines, et une œuvre d’art qui soit illustre l’épisode soit élargit la réflexion autour du thème de l’épisode ou de la question philosophique qu’il pose. Par exemple on peut discuter des apparences ou du mensonge (quand Zeus prend l’apparence de Diane pour séduire Callisto) avec La trahison des images de Magritte ou approfondir la discussion autour des Danaïdes et de leur fuite avec La mariée de Niki de Saint Phalle, etc. Ensuite je tape le tout au propre sur mon ordinateur !
Bien sûr je n’ai pas le temps de proposer aux élèves tout cela à chaque épisode. J’ai varié les modalités chaque année et vais encore les modifier l’an prochain, mais je dirais que pour chaque épisode il y a un temps accordé à la lecture orale suivie des questions de reformulations, un temps pour la réflexion d’abord orale sous forme de « débat philo » puis écrite, et un temps de découverte de l’œuvre guidée par des questions orales.
En décroché, certaines œuvres font l’objet de critiques écrites par les élèves et chaque élève a une critique qui est publiée au moins une fois par an dans le journal d’école. Ces mêmes œuvres font l’objet de dictée HDA, les élèves sont ainsi familiers du vocabulaire qui leur est proposé (ils l’ont manipulé en amont à l’oral et à l’écrit) et écrivent des dictées qui font sens. Les liens interdisciplinaires sont très nombreux !
Quand j’ai cherché des œuvres d’art à proposer aux élèves, j’ai également privilégié des œuvres qui soient dans des musées dans lesquels on puisse se rendre pour les voir « en vrai ». C’est ce que les élèves disent préférer : retrouver en vrai des tableaux, sculptures ou autres qu’ils connaissent et ont étudié. Il y a deux ans, nous étions allés à Orsay dans le cadre de notre projet Harry Potter pour lequel j’avais suivi la même démarche de médiation culturelle, et les élèves étaient restés bouche bée devant la taille du tableau La famille Bellelli de Degas. Pour Artémis, une bonne partie des œuvres se trouvent ainsi au Louvre.
Est-ce que vous vous fixez des limites ?
Je ne me fixe pas vraiment de limites lorsque je prépare. Si ce n’est que je ne lance pas de débat en classe sur des sujets qui me mettent mal à l’aise. Pour Artémis j’ai par exemple transformé certains passages un peu « crus » notamment avec les deux géants dans le feuilleton d’Artémis car j’étais mal à l’aise à l’idée de déclencher une discussion autour du viol. Mais si j’ai fait quelques transformations, elles restent très minimes.
C’est surtout pendant la mise en œuvre que j’essaye de me mettre le plus possible en retrait. Qu’il s’agisse du débat philosophique ou du questionnement sur les œuvres, je tente de guider les élèves sans trop les guider non plus, l’idée étant qu’ils régulent ces discussions eux-mêmes. Mais je n’y arrive pas encore assez !
Comment réagissent vos élèves ?
J’ai utilisé les feuilletons deux ans et n’ai jamais eu pour l’instant un élève qui ne soit pas rentré dans ces histoires. Les élèves d’autres classes qui n’en font pas en réclament lorsqu’ils entendent les récits de leurs frères ou sœurs ! C’est donc qu’en dehors de l’école les élèves transmettent ces histoires à leur tour ! Certains élèves reçoivent à Noël ou pour leur anniversaire le feuilleton ou d’autres livres de mythologie grecque ! L’adhésion est indiscutable.
Pour l’adhésion au travail que je leur propose elle est également là et je pense que c’est dû à la pédagogie de projet. Lorsqu’ils étudient une œuvre et en rédigent la critique, ils n’ont pas le sentiment de faire de l’histoire des arts et de la production d’écrits. Pour eux, ils travaillent sur la mythologie ! On s’éloigne ainsi de tâches purement scolaires.
De plus, ce sont des moments où les élèves se retrouvent assis sur un tapis, un canapé, un fauteuil, etc. On change de place dans la classe et on se retrouve au coin lecture, un lieu qui tente d’être un endroit apaisant, cocooning. Ce moment de lecture est un moment en suspens dans notre journée qui participe également de la cohésion de classe car les élèves partagent une culture commune, des questionnements communs à un moment donné qui est le même pour tous. Les élèves qui coupent systématiquement la parole en classe arrivent à ce moment à se réfréner et ceux qui sont régulièrement « dans la lune » arrivent à focaliser leur attention et souvent sont dans la participation active lors des échanges autour du texte et de ses problématiques. De même, presque systématiquement, alors qu’ils pouvaient avoir travaillé 1h30 à 2h autour de l’épisode, en entendant la sonnerie, on entendait des élèves dire « déjà ?! »
Artémis est un personnage féminin qui s’éloigne des stéréotypes que l’on peut avoir des femmes. Les élèves s’identifiaient à elle dans sa quête de liberté, mais aussi dans son lien avec la nature ce qui témoigne sans doute de leur besoin, à l’heure où les écrans prennent une place de plus en plus considérable, de tisser un lien avec celle-ci. Les élèves tenaient cette année un journal dialogué. C’est un cahier individuel dans lequel l’élève et l’enseignant échangent autour de leur lecture. Ces échanges sont de diverses natures selon l’orientation que les élèves leur donnent. Il peut s’agir d’échanges autour de la compréhension globale de l’épisode, de l’interprétation de certains passages, mais aussi de confidences sur leur vie personnelle car la mythologie fait écho en eux à plusieurs égards. Pour d’autres élèves, mais c’est une minorité, c’était le lieu de grands questionnements humains, sur ce que ça signifie être un étranger, sur l’accueil des migrants, la question de l’égalité homme-femme, le mariage forcé, l’adoption, etc.
Enfin, ce travail reste ancré dans leur mémoire. Je me souviens l’année où nous avions étudié Hermès que lors des différentes sorties scolaires, en lien avec la mythologie, ils étaient capables de remobiliser des éléments vus au début d’année, éléments que j’avais moi-même parfois oubliés ! Alors qu’ils peinent encore à retenir les tables de multiplication !!
Quels sont vos projets pour la suite ?
Je rempile l’année prochaine avec un autre feuilleton, celui de Thésée cette fois ! J’ai créé, toujours en suivant la même démarche, des fiches, de concert avec une amie enseignante. Je suis actuellement en train de tout taper sur l’ordinateur pour les publier prochainement sur mon blog. Cette fois les élèves écriront le journal intime de Thésée et possèderont chacun un cahier de réflexions, sur lequel ils pourront écrire avant et après la lecture de certains épisodes. Par exemple, pour l’épisode 3, les élèves réfléchiront individuellement, à l’écrit, sur les avantages et les inconvénients d’avoir un modèle. On en discutera ensuite à l’oral puis nous lirons l’épisode dans lequel Thésée prend Hercule comme modèle au point de s’oublier. À la suite de cette lecture, les élèves pourront compléter leur réflexion initiale sur leur cahier. Ces deux supports s’alterneront selon les épisodes. En ce qui concerne l’histoire d’Œdipe, les élèves vont créer soit une bande dessinée, un roman photo ou un film d’animation relatant ce mythe.
Mon autre grand projet de l’année à venir est plus personnel. Je travaille à 75 % et vais profiter de mon jour non travaillé pour aller visiter des écoles alternatives et pouvoir mieux appréhender leurs fonctionnements. Le but étant à minima d’améliorer ma pratique de classe dans une école « ordinaire ». Mais l’idée de créer ma propre structure me travaille également !
Si vous aviez un souhait à formuler auprès de Murielle Szac, quel serait-il ?
De poursuivre l’écriture des feuilletons ! 2021-2022 sera surement pour moi une année autour du feuilleton d’Ulysse alors il m’en faut un autre pour l’année scolaire suivante !! Également, nous serions ravis de la rencontrer et de l’accueillir dans nos classes, les élèves pourraient alors échanger avec la personne qui leur conte tant d’histoires tout au long de leur année scolaire !
Liens utiles :